Je crois que l'essence du travail d'Erickson réside dans sa présence
« unique » dans l'instant thérapeutique.
Souvent en transe, Erickson
était capable d'établir une connexion interpersonnelle qui avait pour
effet de faciliter l'accès personnel et le déclenchement de ressources
internes, la reconstruction cognitive et contextuelle, l'espoir et la
croissance. Sa présence ressemblait davantage à celle d'un chaman
sage, complètement à l'écoute de la situation de guérison, qu'à celle
d'un docteur en médecine scientifique, formé à être déconnecté de la
possibilité d'entrer dans un moment relationnel significatif. Bradford Keeney p.20
Ses odyssées, vécues et prescrites, étaient des façons paradoxales d'aller à l'intérieur
tout en accordant une attention soigneuse à l'extérieur.
Il est peu probable que Milton Erickson occupera dans l'histoire
une place aux côtés de Freud, Jung, Skinner, Perls et Rogers, des théoriciens
qui ont publié de nombreuses hypothèses, généralisations et
grandes théories. Erickson ressemblait plus aux vieux chamans qui,
au lieu de demander pourquoi, disaient : « Montrez-moi. » Lorsqu'on
le lui demandait, il répondait souvent, sans paroles : « Laissez-moi
vous le montrer, de manière indirecte, et il se peut que vous vous
surpreniez vous-même de votre propre apprentissage. »
Lorsqu'il parlait – et il parlait beaucoup – ce qui faisait une différence
n'était pas nécessairement ce qu'il disait, mais comment sa
manière de le dire s'entretissait avec les réponses de l'autre personne.
Ses actes, ses interactions, ses résultats et ses réflexions à propos de
ce que lui-même et les autres avaient fait à l'intérieur de leur relation
mutuelle constituent son héritage.
Il nous laisse incapables de nous
satisfaire d'aucune approche spécifique pour aider les autres, mais
ouverts pour faire tout ce qui pourrait aider une autre personne à
vivre d'une manière qui lui convienne.
Il avait un jour résumé son
travail en ces termes : « Ce qu'il faut faire, c'est amener votre patient
– comme vous le voulez, comme vous le pouvez – à faire quelque
chose. » Bradford Keeney p.21
Voilà une manière d'être particulière, une manière d'être chargée
d'une profonde valeur pour les autres et qui est, au sens le plus
large du terme, spirituelle.
Dans cette spiritualité, papa voyait ce
dont les autres avaient intérieurement besoin et, à travers sa propre
connexion à cette partie profonde d'eux-mêmes, il était capable de
les aider à y accéder et à la mettre au monde.
Aider de l'intérieur –
voilà ce qu'est la guérison. Un traitement aide de l'extérieur. Papa
guérissait.
Cette spiritualité faisait partie des raisons pour lesquelles il
voyait et croyait en le meilleur chez la plupart des êtres humains. La
nature humaine et notre monde naturel lui inspirait le plus grand
respect, respect qu'il enseigna à de nombreuses personnes – dont
moi, assurément.
Il était attentif aux cycles de la nature – lorsqu'il
était temps de planter, de faire pousser et de récolter. Il reconnaissait
le cycle des humains – lorsqu'il est temps de grandir, de se séparer,
lorsqu'il est temps de donner aux autres et de se retirer. Il contemplait
la complexité de ce que le monde est vraiment et les façons dont tout
se complète. C'était plutôt un empiriste, une sorte de naturaliste, un
scientifique de terrain voué à des observations claires et précises de
la nature et des gens.
Ce n'était certainement pas un mystique rêveur,
producteur de métaphores dithyrambiques sur des mondes imaginaires
issus de quelque autre sphère. Il était pleinement présent dans
ce monde, le monde des étoiles, des montagnes, des plantes, des animaux,
de la pluie et du soleil, il y était totalement engagé, sans compromis,
de tous ses sens. Il voulait voir la vie de façon directe, pleinement
en contact avec le monde. Je crois que cette seule orientation, sa capacité à inviter sincèrement autrui à établir une connexion
privilégiée avec lui faisait partie des incroyables qualités de papa. Betty Alice Erickson p.27
Cette présence, cette connexion, n'est pas directement psychothérapeutique,
mais c'est la base de la guérison.
Papa accédait à son amour
sans mélange pour les gens et sa foi en eux, et déposait, pour ainsi
dire, cet amour et cette foi entre eux et lui.
S'ils prenaient cela, la
connexion avait lieu. S'ils ne le faisaient pas, c'était bien aussi, parce
que la connexion était tout de même là. Papa savait réellement que
la vraie joie consiste à offrir. Il n'y avait pas de « vous devez le prendre,
je veux que vous le preniez », ni même de « si vous le prenez, je
le remarquerai ».
Ainsi, les gens ne risquaient absolument rien s'ils
prenaient, sentaient, essayaient, touchaient ce pur amour et cette
croyance. C'était comme s'il disait : « Voici. Je veux donner ceci. Si
vous le prenez, c'est merveilleux. Mais si vous ne le prenez pas, c'est
aussi bien, parce que c'est là, sur la table. J'ai trouvé ma joie dans le
don. Peut-être le prendrez-vous la semaine prochaine, le mois prochain,
l'année prochaine, ou jamais. Mais c'est là, et je le donne sans compter. »
Je pense qu'une partie de la « magie » du travail de papa résidait
dans la façon dont il s'ouvrait à l'autre. Si, suite à cela, l'autre personne
s'ouvrait aussi, le processus de connexion s'en trouvait encore
enrichi. C'est à l'intérieur de ce processus que le changement a lieu.
Papa créait une atmosphère dans laquelle vous aviez le sentiment
qu'il était bon, qu'il était vraiment bien de vous ouvrir à lui, de changer,
de donner plus de vous-même et de devenir de plus en plus l'être
humain que vous vouliez être. Lorsque cela se produit, les deux participants
éprouvent de la joie à être ensemble et à participer au processus.
C'est une ligne de conduite très intéressante, et c'est la raison
pour laquelle on a envie de la poursuivre. Betty Alice Erickson p.44
Papa faisait la même chose dans son travail clinique. Le paysage le plus vaste suscitait des idées et des pensées qui pouvaient être reliées à d'autres éléments, ce qui donnait une autre perspective à d'autres choses. Ensuite, les gens pouvaient découvrir toute l'image, ou une partie, et se servir de leurs propres ressources pour découvrir de meilleures manières de fonctionner. Il tirait la guérison et la compréhension de l'intérieur des gens, en offrant une perspective plus large, en ajoutant de l'information et en les laissant trouver eux-mêmes, changer et se guérir eux-mêmes. Il utilisait les capacités inconscientes des gens. Betty Alice Erickson p.49
C'est cela, la guérison. Peu importe comment vous guérissez. Ce
qui importe, c'est le résultat final. D'une manière ou d'une autre, vous
devez faire quelque chose et je ne sais pas comment vous allez le
faire, et vous n'avez pas besoin de savoir comment vous allez le faire,
mais vous savez que vous allez le faire.
C'est réellement ce qu'est la
guérison, même sur le plan physique. Nous ne savons pas comment
des os cassés se soudent, comment les infections sont vaincues. Nous
connaissons le processus. Nous pouvons suivre, repérer et comprendre
ce qui se passe. Mais nous ne savons toujours pas exactement
comment nous le faisons.
Papa avait compris que cette confiance – la foi dans le fait que
l'autre personne sait comment faire, peut-être sans même savoir
qu'elle le sait – fait partie de la structure communicationnelle qui
permet d'activer chez les gens leurs propres processus internes de
guérison.
En juillet 1961, papa donna à San Diego un séminaire à l'intention
de professionnels de la santé et cita en exemple la façon dont il avait
travaillé avec une patiente cancéreuse qui souffrait énormément.
Il m'avait demandé de rencontrer sa patiente et d'aller en transe pour
elle.
Voici ce qu'il dit à l'auditoire :
« J'ai une fille de vingt-trois ans qui est enseignante. C'est
également un bon sujet hypnotique. Elle enseigne l'anglais. Mis
à part ce que son expérience de vie lui a appris, elle ne connaît
pas grand-chose à l'anatomie et à la physiologie. Hier soir, je l'ai
emmenée voir une patiente atteinte du cancer. Cette patiente
souffrait de nausées et de vomissements et il avait été difficile
de la soulager à cet égard, car elle n'a pas grande confiance en
elle-même.
J'ai donc demandé à ma fille d'aller en transe, à la
suite de quoi je lui ai expliqué pour la première fois : « Cette
dame a un cancer. Elle souffre de nausées et de vomissements. Je
voudrais avoir ton avis concernant les suggestions que je devrais
donner à cette dame. » Voilà une fille de vingt-trois ans qui enseigne
l'anglais et à qui l'on demande d'être un consultant médical
pour un cas de ce genre.
Et donc ma fille, dans une transe très
profonde – parce que je l'avais mise en transe avant de lui poser
cette question – répond : « Laisse-moi réfléchir. »
Elle réfléchit un moment et dit : « Je peux répondre. » Je lui
demande comment elle peut répondre et elle dit : « Je me suis
rendue malade. Tout d'abord, j'ai été nauséeuse puis j'ai senti
que tous les muscles de mon estomac se soulevaient. Ensuite, j'ai
interrompu cela. J'ai produit une interruption exactement ici et
j'ai perdu cette sensation de nausée. J'ai interrompu la contraction
des muscles. » Je lui demande où elle a ressenti la nausée,
et elle dit : « Je l'ai sentie tout d'abord ici, exactement (désignant
ses oreilles), et là en bas (désignant son abdomen), puis je l'ai
sentie à nouveau ici (désignant sa gorge). » Sa mère est intervenue
immédiatement et a dit : « Les canaux semi-circulaires sont
très souvent impliqués dans les nausées et les vomissements. »
J'ai alors demandé : « Que fais-tu avec cette sensation, ici (désignant
les oreilles) ? » « Tu l'interromps. » « Que veux-tu dire
par cela ? » « Tu produis une anesthésie. Tu diriges l'attention
ailleurs. Tu changes ta façon de penser. »
J'utilise cela comme exemple, parce qu'il est vraiment
important que vous réalisiez que lorsque vous demandez aux
patients de faire des choses, vous devez vous fier à eux et savoir
qu'ils les feront à leur façon. Je ne savais pas ce que ma fille allait
faire. Je savais que ma patiente pouvait rester étendue dans son
lit et regarder ma fille, écouter ma fille, et être formidablement
impressionnée. Betty Alice Erickson p.56 57
De nombreuses personnes ont tenté de décomposer, d'analyser
les différentes façons dont papa travaillait avec ses patients. Il
est question de techniques – de rejoindre le client, de recadrer, et
même d'intégrer de la curiosité. Tout cela est utile et adéquat dans
une bonne psychothérapie.
Je vois ce qu'il faisait depuis un angle de
vue différent. Il était intéressé, joyeux et curieux de ce qu'une personne
était capable de faire, et il le lui proposait en retour. Ce qui est
différent de « recadrer » ou d' « introduire de la curiosité ». Au lieu de
cela, il offrait aux patients quelque chose qui les concernait et qui,
à son tour, leur donnait la capacité de rejoindre papa dans un nouveau
monde de leur propre fabrication, plutôt que ce soit papa qui
les rejoigne là où ils étaient.
Je reconnais qu'il est possible et même
fructueux d'imputer des techniques à son approche. Cependant, ces
perspectives partielles ne devraient pas boucher la vue, la perspective
plus large avec laquelle il travaillait. Betty Alice Erickson p.61
En s'ouvrant aux autres, il créait pour les étudiants et les patients
une occasion de se connecter à ou de puiser dans la sagesse de leur
propre vie.
Les patients et les étudiants ont contribué à l'étendue et
à la profondeur de la sagesse de papa, qui était en perpétuelle évolution.
Lorsqu'ils le rejoignaient tandis qu'il puisait dans sa sagesse,
ils puisaient pareillement dans la sagesse de leur propre vie.
Vous
ne pouvez simplement regarder quelqu'un s'ouvrir à la sagesse de sa
propre vie sans gagner quelque chose en retour. La guérison, ou la
thérapie, devient une circulation dans les deux sens.
Pour ce qui était de comprendre cela, de prendre ce que les
gens avaient à offrir puis de l'amener à fonctionner encore mieux,
de manière encore plus productive et, en quelque sorte, plus judicieuse
encore pour eux, papa était un génie absolu.
L'une de ses
patientes avait de fréquents épisodes psychotiques au cours desquels
elle se voyait suivie par de petits hommes nus de couleur verte –
ce qui, assurément, nuisait à sa vie quotidienne. Papa lui fit prendre
conscience du fait qu'elle pouvait mettre les petits hommes dans son
placard fermé à clé, où ils pourraient se reposer et l'attendre en toute
sécurité.
Chaque fois qu'elle le souhaitait, elle pouvait venir à son
bureau et ils pouvaient ouvrir la porte du placard, laisser sortir les
petits hommes, leur parler puis les remettre dans le placard où ils
attendraient joyeusement et en toute sécurité sa prochaine visite.
Parfois, quand papa était absent, cette dame venait à la maison,
allait dans son bureau et fermait la porte. Nous pouvions l'entendre
parler – à qui ou à quoi, nous ne le savions pas. Lorsqu'elle avait terminé,
elle sortait en ayant accumulé de quoi travailler pendant une
semaine.
Papa lui permettait d'avoir ce dont elle avait besoin à ce
moment de sa vie, gérait ce symptôme très sérieux d'une façon qui
n'avait pas d'impact négatif sur sa vie ou sur celle des personnes de
son entourage. Il lui fit prendre conscience du fait qu'il existait une
manière acceptable de gérer sa vie. Betty Alice Erickson p.63
Papa passait un temps inouï à exercer son propre esprit. Dans
son travail avec ses patients, ses étudiants, ou dans sa propre vie, il
n'avait pas l'habitude de s'attendre à ce qu'un inconscient non fertilisé
et stérile produise des résultats valables et respectueux.
Il estimait
qu'un dur labeur et une discipline assidue sont nécessaires pour
obtenir des résultats efficaces, pour que les processus inconscients
produisent de la sagesse dans la vie, dans l'enseignement et dans la
salle de thérapie.
Je me rappelle comment il écrivait une induction.
Il réduisait vingt pages à une seule, dans un immense effort pour
arriver exactement à ce qu'il voulait. L'écrit le plus difficile à produire
est le plus concis, mais l'effort en vaut largement la peine car alors,
chaque mot devient important.
Ce que papa faisait avec ses étudiants, ses patients et lui-même
peut aussi être décrit comme le processus, réussi, consistant à distraire
l'esprit conscient afin de l'empêcher d'interférer avec ses processus
naturels de croissance et de guérison. Il mentionne cela dans la transcription
de son travail avec la patiente atteinte du cancer.
Il appliquait
ce processus à lui-même lorsqu'il écrivait des articles pour le journal de
l'université tout en étant en transe profonde.
Les guérisseurs doivent
aider les patients à cesser de s'entraver avec leurs habitudes conscientes,
de sorte que la sagesse de leur esprit inconscient et leur santé puissent
être activées et qu'ils puissent se guérir eux-mêmes. Papa faisait cela
continuellement. Il occupait l'esprit conscient avec une tâche appropriée,
ce qui enseignait l'indépendance à la personne – et à son esprit
conscient – tandis que l'inconscient la guérissait. Betty Alice Erickson p.78
Erickson changea complètement ma façon d'appréhender la
maladie mentale. Je cessai de la voir comme un état d'être intrinsèque,
une étiquette coulée dans du béton, un jugement à vie, et
commençai à la considérer comme un état de blocage au sein d'un
processus dynamique, qui pouvait changer de façon spectaculaire et
rapide si l'on arrivait à en trouver la clé.
J'appris aussi que la clé se
trouve dans la main de la personne qui est bloquée. C'est la peur,
essentiellement, qui l'empêche d'ouvrir la main et de se servir de la
clé.
Erickson m'apprit à désarmer la peur grâce à l'humour, le confort
dans les expériences de la vie, les cajoleries et, surtout, en modélisant
d'autres types de comportement.
Thérapeute en cours de formation, j'appris, en étant avec Erickson,
à voir les expériences humaines que je partage avec mes clients
et à construire à partir de ces expériences plutôt qu'à considérer ce
qui nous sépare. Sandra sylvester p.254
Erickson me fit découvrir ces principes de base de la guérison :
Un guérisseur
1. voit au-delà de la pathologie du patient, il met en lumière
ses forces et les mobilise, et il l'aide à avancer au-delà de ses
limitations ;
2. trouve des moyens d'ouvrir un passage vers l'esprit inconscient
et d'amener les patients à voir leur réalité différemment.
À l'aide d'histoires, de symboles, de mythes partagés, et en
prescrivant des rituels, des cérémonies et même des épreuves
ou des ordalies, les guérisseurs amènent les gens à porter un
regard nouveau sur ce qui leur est familier ;
3. créée une expérience de guérison unique pour chaque individu,
expérience dans laquelle le patient et le guérisseur sont
totalement impliqués. Il n'y a pas d'objet de transfert froid,
distant, indisponible pour résoudre émotionnellement sa
névrose. Carl Hammerschlag p. 269
Le fait de considérer Erickson comme un guérisseur va même
au-delà des exemples précis qui viennent d'être décrits.
Les « personnalités
thérapeutiques » sont en partie définies par la mesure dans
laquelle leurs propres états d'esprit inconscients « résonnent » avec
ceux d'autrui, facilitant les effets thérapeutiques d'une façon beaucoup
plus difficile à expliciter. Une telle résonance ne peut être enseignée
par le biais d'un entraînement, ni consciemment programmée.
Elle « arrive », tout simplement, et semble monter des sources profondes
de l'être fondamental.
Après avoir travaillé avec un cas particulièrement
difficile, il arrivait parfois à Erickson de « se réveiller »
pour trouver des notes détaillées sur le déroulement de la séance qui
venait d'avoir lieu, avec une amnésie presque totale de ce qui s'était passé John O. Beahrs p.304
Sa présence, à l'époque et aujourd'hui, m'a encouragé à garder
mon ego hors conflit, à faire à chaque instant donné ce qui est le
mieux pour l'autre. Cela a été un parcours très douloureux, bien que
réussi, qui a exigé un effort tenace et soutenu.
Après sa mort, le Dr Erickson m'est apparu en rêve. Il était
debout au-dessus de moi, et j'étais couché dans mon lit. Cela se passait
dans mon chalet des Monts Ozark, près de la rivière Buffalo. La
question que je lui posais était : « Que dois-je changer en ce qui me
concerne ? » Ronald H. Boyle p.323
J'ai rencontré le Dr Erickson après avoir étudié et appliqué son travail
pendant plusieurs années – à travers les cours et les écrits de Jay Haley
et le premier enregistrement vidéo techniquement affiné du travail
d'Erickson, « The Artistry of Milton H. Erickson, M.D. », filmé par le
Dr Herbert Lustig.
J'étais arrivée dans le modeste bureau d'Erickson
avec un grand intérêt pour sa philosophie de la vie ; son attitude semblait
extrêmement positive, bien qu'il fût souvent tourmenté par la
douleur physique. Mais durant le temps précieux que j'ai passé avec
lui, ma compréhension de la physiologie s'est améliorée, autant que
ma philosophie et mes attitudes face à la vie.
Avec Erickson, ce n'est
pas de ce qu'on appelle la psychothérapie que j'ai fait l'expérience,
mais de l'essence de la guérison, qui est quelque chose que le corps et
l'esprit du patient doivent faire, et que le thérapeute/guérisseur peut
catalyser, s'il est à la fois compétent et chanceux.
En tant que sujet et élève d'Erickson, je sais que j'espérais
l'impressionner
par ma compétence de stagiaire en thérapie familiale.
Je sais que je suis restée assise dans son bureau pendant ce qui
m'avait paru être un long moment, en me sentant un peu impatiente,
mais en donnant de moi-même une impression beaucoup plus fausse
que ce dont j'étais consciente, tandis qu'il travaillait avec deux autres
étudiantes. Mais à ma surprise et à mon grand plaisir, il envoya les
deux autres femmes vivre l'une de ses aventures thérapeutiques.
Puis
il se tourna vers moi avec sa lente brusquerie et dit : « Maintenant que
j'ai renvoyé ces deux-là, de quoi voulez-vous vraiment parler ? »
Erickson faisait beaucoup de choses choquantes et scandaleuses
en apparence. C'est en partie la raison pour laquelle son travail était
extraordinaire. Il ne se préoccupait pas beaucoup de ce que les gens
pensaient de lui, du moment que ce qu'il faisait était dans l'intérêt de
la guérison. Il n'avait pas manqué de respect envers les deux autres
étudiantes. Ce qu'il avait fait, c'était de me montrer, d'un seul coup,
à un niveau inconscient, qu'il comprenait pourquoi j'étais réduite
au silence par la présence symbolique dans la pièce de deux autres
femmes avec le personnage du père. Erickson avait exprimé qu'il me
protégeait.
C'est ainsi que j'appris que la polio était son mentor. Cependant,
avec la douleur et les handicaps physiques, cet homme avait aidé
énormément de monde, il avait produit de grands élèves, comme Jay
Haley et Kay Thomson, avait eu huit enfants et avait complètement
renversé la psychologie freudienne. Et il ne se complaisait pas dans
ses désagréments.
Il me raconta beaucoup d'histoires pendant que je traversais ces
changements physiologiques.
Je les avais enregistrées et je les ai réécoutées
des années plus tard pour réaliser que, moi qui croyais avoir
mauvaise mémoire, je me souvenais presque mot pour mot de chaque
histoire qu'il m'avait racontée tandis que je traversais dans la douleur
ces remous psycho-physiologiques.
Mais ce fut dans ces remous que
le changement le plus profond et le plus durable se produisit.
« L'eau salée se calmera », avait-il dit.
Lorsque ce fut le cas – et je voyais maintenant Erickson avec un
état d'esprit différent, presque honteuse de m'être exposée de façon
inadéquate car j'étais venue en tant qu'étudiante de Jay Haley –, il dit
calmement : « Maintenant, nous pouvons parler de tout ce que vous
voulez. »
Cette phrase transforma complètement tout ce que j'avais
appris sur la thérapie jusqu'à cet instant. Je réalisai que ce dont nous
parlons n'est pas la thérapie. Ce n'est qu'un véhicule pour la thérapie,
et la thérapie se trouve dans la connexion entre le guérisseur et la
personne qui est en train d'être guérie, et dans la relation entre la
personne en train de guérir et ses ressources inexploitées.
Je me mis à discourir gaiement de mon cas difficile – le jeune
homme que son père avait menacé d'un couteau pendant ma séance,
qui était brutalisé par sa mère et chez qui on avait diagnostiqué une
schizophrénie. Je repartis en me sentant très professionnelle.
Le lendemain, lorsque je revins avec ma terrible douleur pulsative,
il fut ravi comme un enfant qui avait obtenu la réponse à sa
question. Il m'avait demandé quelque chose, et mon corps avait produit
une réponse physiologique. Je crois maintenant que sa question
portait sur ma famille – il m'avait posé une question sur mes parents
et ma soeur et il avait suggéré que je développe une réaction physique
qui exprimerait, pour moi et pour lui, à un niveau inconscient, codé,
ce que j'éprouvais par rapport à ma famille.
Ensuite, il travailla avec
moi pour que je trouve ma propre peau, là où je commençais et où
je finissais, mes frontières par rapport aux membres de ma famille,
mes droits à l'autonomie et à la liberté. Il travailla avec le contexte
physiologique.
Après une séance qui avait duré sept heures, il dit : « Je me sens
à présent comme si quelqu'un m'avait aplati la colonne vertébrale
avec une batte de baseball. Je crois bien que nous avons terminé pour
aujourd'hui. »
Je n'ai jamais souffert de douleur physique, mais mon corps
éprouvait une sorte de pression sympathique continuelle pendant
que je discutais de mes cas avec le Dr Erickson, sensation qui, je
crois, était liée à la douleur dont il se distançait afin de s'occuper du
travail immédiat. De cette façon, je sentais qu'il exposait et partageait
sa propre vulnérabilité et sa douleur, me protégeant, encore une fois,
d'avoir tant exposé ma propre vulnérabilité.
Une bonne partie de ma guérison concernait le fait d'avoir des
enfants. J'étais sous l'emprise d'une transe familiale – sujet sur lequel
j'écrirai plus tard abondamment – qui m'amenait à me sentir condamnée
à être un mauvais parent et à être persuadée que je n'étais pas faite
pour avoir des enfants. Erickson me raconta de nombreuses histoires
sur ses enfants, en particulier sur les trois filles dont l'âge était le plus
proche du mien.
Ce faisant, et de la façon dont il le fit, il me donna
une sorte de statut d'enfant honoraire.
Il me parla de Betty Alice, avec
qui il avait fait des démonstrations de transe, et raconta comment, un
soir, lors d'une démonstration devant un groupe, elle avait refusé de
collaborer avec les suggestions qu'il avait faites. Il utilisa cette histoire
pour m'aider à sentir que j'avais le droit de ne pas satisfaire les attentes
de mes parents. À la fin de l'histoire de Betty Alice, il proclama sur
un ton théâtral : « Tout ce qui est escompté devrait être repoussé. »
Grâce à cette déclaration spectaculaire, je réalisai qu'un père pouvait
être fier de l'autonomie de sa fille.
Il me raconta comment sa fille
Roxie s'était vue proposer un poste d'infirmière hautement qualifié,
un boulot en or, mais qu'elle avait réalisé que l'équipe était en souseffectif
et que, par conséquent, elle était condamnée à l'échec. Elle
avait donc refusé cette offre de travail.
Il me raconta beaucoup d'histoires
sur Kristi, parce qu'elle et moi étions les « bébés ». Nous savions
toutes les deux être gentilles et méchantes, et par conséquent, nous
en savions deux fois plus que les enfants qui ne savent qu'être gentils.
Il me montra une carte envoyée par Betty Alice et sur laquelle il était écrit :
« Lorsque vous contemplez le ciel et que vous voyez les étoiles, que vous imaginez les planètes et regardez la lune, si grande, tout cela ne vous amène-t-il pas à vous sentir petit et insignifiant ? »
Et à l'intérieur de la carte, on pouvait lire : « Moi non plus. »
J'étais donc là avec ma douleur et le sentiment que j'étais indigne
d'être un parent, et je riais. Et j'aimais ces filles culottées que je
n'avais pas encore rencontrées. Et j'obtenais également un statut de
fille honoraire.
Et je devais être bien aux yeux d'un parent très critique.
Ça, c'est de la guérison.
Je parle de parent critique, parce qu'Erickson s'était donné beaucoup de mal pour me montrer qu'il n'était en rien un paillasson.
J'aurais pu interpréter le fait qu'il m'acceptait facilement comme
la preuve qu'il n'avait pas remarqué mes épouvantables qualités.
Puisqu'il avait fait la démonstration de ses critères élevés pendant
tout le temps que nous avions passé ensemble, lorsqu'il m'accepta, je
sus qu'il m'acceptait vraiment, avec le bon et le mauvais, et qu'en fait
il avait une grande admiration pour les filles comme moi, qui défendent
ce en quoi elles croient.
D'une certaine façon, Erickson brisa un charme sous lequel
j'étais tombée à cause de notre hypnose familiale. L'instruction qu'il
avait donnée à mon inconscient était séminale et avait eu un effet
viscéral. Après une séance, alors que j'étais en train de nager dans la
piscine de l'hôtel, mon cerveau s'enflamma comme un jour de fête
nationale. Je sentis les décharges dans mes synapses. J'avais éprouvé
le besoin de sentir une sorte de nouvelle connexion avec mon propre
corps, avec le sentiment que j'avais de moi-même en tant que femme,
mon indépendance vis-à-vis de ma famille afin de passer au prochain
stade de développement, et c'était fait.
Erickson m'avait dit que son médecin lui avait affirmé un jour
qu'il ne bougerait plus jamais, aussi, afin de susciter le mouvement, il
s'était souvenu qu'il se balançait en s'accrochant à un pommier. Alors
qu'il se rappelait comment il empoignait les branches, un doigt de
sa main droite bougea !
Erickson préférait révéler l'exception plutôt
que la probabilité statistique d'une chose, et c'est ainsi qu'il procéda
pour une bonne partie de ses travaux de recherche. Une fois qu'il eut
prouvé que le médecin avait tort, il fut déterminé à reconquérir son
corps.
Je confectionnai un cadeau en broderie pour lui et Betty
lorsqu'après une cérémonie de remariage qu'il fit avec mon mari de
l'époque et moi, je fus enceinte de mon premier enfant, Miranda.
Quand je fus enceinte de mon fils, Judah, je brodai un pommier en
fil violet sur fond violet, avec des pommes faites en petits miroirs
indiens ; l'arbre lui-même était une réplique exacte des veines et des
artères du coeur humain, mais à l'envers. En dessous, il y avait un
panier avec huit pommes – une pour chacun des enfants d'Erickson
et de Betty – sur lequel étaient brodés les mots « la mémoire éveille la
physiologie ».
Tout comme Erickson avait fait de moi une fille honoraire,
lui et Betty sont le parrain et la marraine de mes enfants.
Erickson m'a aidée à me rappeler – à trouver où ma mémoire avait stocké – le bonheur et l'espoir dont j'avais besoin pour me libérer de personnes qui ne pouvaient pas me vouloir du bien, de façon à
ce que je puisse profiter de la vie.
La mémoire éveille la physiologie ce fut l'une des nombreuses
leçons de guérison d'Erickson. Michele Ritterman p. 317 321
Marcher dans deux mondes : sur quoi se fonde le don du guérisseur
Sa faculté d'opérer dans deux « réalités » simultanément était le plus
grand talent d'Erickson : le monde intérieur et le monde extérieur.
Son travail « interne » (avec une batterie éblouissante d'expériences
de transe naturaliste) mettait en évidence les infinies possibilités de
la conscience ; son travail « externe » (avec toutes sortes de directives
pour agir différemment dans le monde social) montrait nombre de
voies créatives pour modifier l'identité des personnes ; et sa dextérité
à gérer les deux mondes en même temps lui conférait une compétence
particulière en tant que guérisseur.
Je pense qu'aucun de ses élèves n'est parvenu à reproduire le
remarquable équilibre « bi-n-oculaire » d'Erickson – cette magnifique
capacité à opérer à l'intersection de deux mondes, qui confère
ainsi une plus grande profondeur de champ – une vision d'une plus
grande profondeur.
À mon sens, le problème vient en partie du fait
qu'Erickson a essentiellement été considéré à partir de l'angle de vue
« mono-oculaire » traditionnel occidental, celui pour lequel la réalité
extérieure est le seul monde viable et « réel ».
Bateson a signalé les
dangers de cette approche limitée, en particulier en ce qui concerne
la compréhension du travail d'Erickson, dans un entretien avec Bradford
Keeney (1977) :
Keeney : Vous dites que les gens qui vont voir Erickson partent avec
une soif de pouvoir ?
Bateson : Oui ! Ils ont tous soif de pouvoir.
Keeney : Y a-t-il quelque chose qui soit lié au fait de voir (Erickson)
et qui induise ce désir de pouvoir ?
Bateson : Eh bien, je pense que c'est le talent qu'il a de manipuler
les autres et qui vraiment, en fin de compte, ne le sépare pas d'eux
en tant qu'ego dominant.
Lui travaille dans le tissage du complexe
global, alors qu'eux partent avec un truc qui est séparé du complexe
global, et qui va par conséquent à son encontre, et devient une sorte
de pouvoir. Je pense que c'est quelque chose comme cela. Stephen Gilligan p.332